LA VELLEDA


J'ai connu des patrons de vedette, artistes de la relève, ils avaient noms Henri Le Gall ou Auguste Perhirin, et leur talent, qui prenait toute sa dimension dans le mauvais temps, n'enflammait d'admiration qu'un petit nombre de spectateurs - acteurs: les gardiens.
J'ai toujours regretté que personne n'ait eu la volonté de filmer ces moments d'intense vie - tel Hervé Hamon sur l'Abeille- Flandres filmant les opérations de sauvetage - afin que le téléspectateur puisse se régaler d'élégance et de talent. Afin, aussi, que la mémoire maritime de ce pays soit nourrie de ce qui fait sa grandeur.
Je fais partie de ces privilégiés qui ont côtoyé ces hommes pas tout à fait ordinaires si l'on se réfère à leur talent, et pourtant si peu remarquables hors du terrain de leurs exploits. J'ai en mémoire l'image d'Auguste : bleu de travail rapiécé, sabots et béret basque ; anonyme silhouette sur le quai de Lampaul. Combien savaient qui était vraiment cet homme ? Combien voyaient ce qu'il portait en lui de savoir maritime, de force tranquille et d'expérience ?
La plupart se rappelle son sourire, et c'est peut être bien ainsi. Je sais qu'Auguste n'aurait pas aimé lire ce que je suis en train de vous confier. Il ne faisait que son métier, après tout. Sur cette photo l'on voit "La Velleda", vedette de ravitaillement de l'île de Sein, construite en 1968 selon un cahier des charges établi par son patron: Henri Le Gall.
C'était la première fois que l'administration acceptait de financer un navire conçu et pensé par quelqu'un d'autre que leurs ingénieurs parisiens.
Henri avait convaincu son ingénieur local de remplacer son ancienne "Velleda", certes encore en bon état, mais non pontée à l'arrière, et dotée en guise de passerelle d'un abri fragile. Son argument majeur était la sécurité: toutes les vedettes des phares avaient été construites sur le même modèle et celui-ci semblait à Henri, inadapté à la pratique des ravitaillements hebdomadaires des phares de l'Armen et de la Vieille, dont il avait la charge.
Un peu plus tard, c'était en 69 ou 70, au pied du phare de la Vieille, la "Velleda" se fit rouler par une grosse lame de fond, précipitant à la mer les trois personnes présentes sur le pont.
Les deux moteurs s'arrêtèrent - une sécurité déclenchait leur arrêt à partir d'une gite de 120°, ceci afin de préserver leur intégrité - sa passerelle solidement construite et sa coque entièrement pontée ne prirent pas d'eau.
Henri relanca ses moteurs et s'engagea dans le raz de Sein en furie à la recherche des trois hommes flottants dans leurs gilets de sauvetage. Il les récupéra indemnes et cette manoeuvre, dont on imagine difficilement la technicité si l'on est pas de ce milieu, lui valut la légion d'honneur et le mérite maritime.
A la suite de cet incident il relança l'administration au sujet des autres vedettes qui continuaient de ravitailler les phares d'Iroise dans des conditions de sécurité inacceptables, à ses yeux.
" Vous avez vu - disait il - ce qui nous est arrivé. Si j'avais eu mon ancienne vedette, on aurait dénombré quatre morts, et personne n'aurait eu de médailles ! "
Mais l'administration est une machinerie lourde à remuer, des dossiers furent sans doute montés, mais rien ne bougea jusqu'à ce jour de 78 où la "Ouessantine" chavira au pied du phare du four. La coque se redressa, décapitée de sa passerelle et remplie d'eau, puisque non pontée à l'arrière. Il y eut trois morts...
(Tout ce que j'écris, je le tiens d'Henri en personne, qui m'honorait de son amitié)
Ensuite on ponta les bateaux restants et on construisit une vedette neuve pour Ouessant...
Ces bateaux, et ces hommes qui les armaient, font partie intégrante de notre histoire des phares. Ils étaient notre lien à la terre, à la famille. Notre vie dépendait de leurs compétences et j'ai énormément d'admiration d'amitié et de respect pour eux.
J'aimerais leur rendre hommage, mais je ne connais que ceux de la mer d'Iroise, et je n'ai pas beaucoup de documents illustrant leur histoire.
Une petite page, quand même, sur le site. Qu'en pensez vous ?




Velleda, reconvertie en bateau de travaux procède au remplacement d'une échelle métallique
sur le feu de "Men Korn" à Ouessant en 1998.


Nous remercions Gardien pour ces photos et ce beau récit. En effet, cette histoire méritait une page sur le site.


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